03/12/2025 ssofidelis.substack.com  7min #297947

Pardon ?

Par  Patrick Lawrence, le 1er décembre 2025

En parcourant les médias pendant le week-end de Thanksgiving...

J'ai lu samedi que le président Trump a annoncé son intention d'accorder une grâce totale à Juan Orlando Hernández, qui purgeait une peine de 45 ans dans une prison fédérale de Virginie-Occidentale pour avoir dirigé, pendant son mandat de président du Honduras, un immense trafic de cocaïne pendant des décennies, en collusion avec certains des cartels de la drogue les plus notoires d'Amérique latine. Visiblement fier de lui, Trump s'est vanté de ce geste de clémence totalement déplacé sur son site Truth Social vendredi soir, et en majuscules s'il vous plaît :

"FÉLICITATIONS À JUAN ORLANDO HERNÁNDEZ POUR SA GRÂCE À VENIR. RENDEZ SA GRANDEUR AU NOUVEAU HONDURAS !"

Señora Hernández aurait pleuré (de joie) en apprenant la toute prochaine libération de son mari.

Puis j'ai lu dimanche que Trump a commué la peine de David Gentile, qui purge une peine de sept ans pour une escroquerie d'1,6 milliard de dollars ayant dépouillé 10 000 investisseurs. Gentile a menti, pour la énième fois, sur le rendement de ses fonds et a camouflé les paiements conformément à la formule de la chaîne de Ponzi. Une commutation et une grâce sont deux notions différentes : dans le premier cas, la condamnation est maintenue, dans le second, elle est effacée. Mais qui s'en soucie ? Gentile a rejoint la prison le 14 novembre et a été libéré après avoir purgé moins de deux semaines de sa peine.

Revenons maintenant aux réseaux sociaux : le jour de Thanksgiving, la responsable des grâces de Trump (oui, il en a une, et elle s'appelle Alice Marie Johnson) a déclaré être "profondément reconnaissante de voir David Gentile rentrer chez lui auprès de ses jeunes enfants". L'ironie veut que cette Alice Marie Johnson a été condamnée pour trafic de cocaïne en 1996 et purgeait une peine à perpétuité lorsque Trump a commué sa peine lors de son premier mandat.

Alors que mes pensées vagabondaient vers le président latino-américain qui a inondé les États-Unis de cocaïne, le chef d'entreprise qui a escroqué des milliers d'investisseurs inconscients et l'ancienne détenue qui gère les opérations de clémence de Trump, j'ai appris que Bibi Netanyahu, inculpé pour corruption il y a six ans, vient de demander à Isaac Herzog, le président israélien, de lui accorder la grâce présidentielle.

Il s'agit d'une affaire des plus graves. Le Premier ministre israélien est accusé de corruption, de fraude et d'abus de confiance dans trois affaires distinctes et il échappe à la justice grâce à des reports de procès, notamment en prolongeant le génocide à Gaza. Comme on l'a largement rapporté, Netanyahu tente depuis longtemps de pervertir le système judiciaire israélien pour éviter un verdict de culpabilité.

Et voici l'argument de Bibi dans sa requête à Herzog : il doit être innocenté de l'ensemble des charges, a-t-il affirmé, pour préserver la "sécurité et la réalité politique" d'Israël. Soit, rien de nouveau sous le soleil. Mais là, il a poussé le bouchon encore plus loin en faisant référence aux récents appels de Trump à Herzog en faveur de Netanyahu :

"Le président Trump exige l'abandon immédiat du procès car il souhaite pouvoir compter sur moi pour défendre les intérêts vitaux et communs d'Israël et des États-Unis".

Des grâces, encore des grâces, des commutations, encore des commutations. Mi-octobre, Trump a commué la peine de George Santos, un ancien député républicain, qui purgeait une peine de sept ans pour diverses activités frauduleuses. Quelques jours plus tard, c'était le tour de Changpeng Zhao, l'ancien directeur général de Binance, une société de cryptomonnaie, condamné à une légère peine de prison et à une amende de 50 millions de dollars pour avoir utilisé Binance à des fins de blanchiment d'argent. Binance, société impliquée dans les activités de la famille Trump dans le domaine des cryptomonnaies, s'avère être au cœur de ces affaires. Le 21 octobre, Trump a accordé une grâce totale à Zhao.

Mais ce n'est pas tout. Le 9 novembre, il a gracié préventivement 80 personnes associées à ses manœuvres d'invalidation des élections de 2020, sans qu'aucune accusation ni condamnation n'aient été prononcées. Le lendemain, Forbes publiait la liste des huit personnalités de premier plan graciées par Trump au cours de son second mandat. Il y a bien sûr aussi ceux qui ont été condamnés ou attendent leur procès pour des crimes commis lors des désormais célèbres manifestations du 6 janvier 2021 au Capitole. Le jour de son investiture, le 20 janvier 2025, il a accordé sa clémence à près de 1 600 d'entre eux.

Les abus de pouvoir de Trump en matière de grâce, y compris la clémence accordée aux criminels de guerre durant son premier mandat, frisent l'extravagance. Mais il ne bat pas de record en termes de chiffres. Au cours de ses années à la Maison Blanche, Joe Biden a en effet gracié, ou commué les peines de 4 245 personnes. Cette statistique inclut 1 500 commutations et 39 grâces annoncées par la Maison Blanche de Biden en une seule journée, un peu plus d'un mois avant la fin de son mandat. Le 9 décembre 2024 est désormais un record en la matière.

"Mais cette fois, on se rapproche davantage de grâces accordées à des proches", a déclaré Bernadette Meyler, professeure de droit constitutionnel à l'université de Stanford, à la radio publique américaine NPR, après l'annonce des grâces accordées par Trump le 9 novembre. Madame la professeure, épargnez-nous ce genre de remarque digne d'un libéral convaincu. Quiconque a pris connaissance des grâces accordées par Biden, à commencer par celle de son fils Hunter, ne prendra une telle affirmation au sérieux.

Examinons ces chiffres dans leur contexte historique. Au cours de son premier mandat, Trump a accordé 1 700 grâces ou commutations de peine. Obama en a accordé 1 927 pendant les huit années de ses deux mandats, George W. Bush 200 et Bill Clinton 459. En remontant plus loin dans l'histoire, on trouve : Kennedy : 575, Theodore Roosevelt : 981, Ulysses S. Grant : 1 332, Lincoln : 343. Andrew Johnson a octroyé sa clémence à 7 650 personnes, mais ce chiffre comprend plusieurs milliers d'anciens fonctionnaires et officiers confédérés, soit un cas à part.

Quelque chose s'est donc manifestement passé au cours des deux dernières administrations, et deux explications sont possibles, qui illustrent toutes deux l'état de liquéfaction avancé de notre république, à l'aube de sa phase impériale tardive.

Premièrement, nous vivons dans un contexte de déclin radical du droit et de nos institutions fondamentales. Le pouvoir est plus que jamais confisqué par le pouvoir exécutif, et ce de manière toujours plus anticonstitutionnelle. Les deux derniers occupants de la Maison Blanche, Biden comme Trump, ont d'ailleurs manifesté un mépris sans borne pour la loi.

Et alors que les États-Unis sombrent dans l'anarchie, cette crise intérieure s'accompagne de graves répercussions internationales. Lorsque Trump annonce son intention de gracier Juan Orlando Hernández, alors que les États-Unis mènent une campagne illégale contre les "narco-terroristes" et menacent d'attaquer le Venezuela sous l'accusation fallacieuse que son gouvernement soutiendrait le trafic de drogue, on ne peut s'attendre qu'à une forme ou une autre de chaos. "Accorder une grâce à Hernández est tout simplement désastreux" a déclaré Mike Vigil, ancien haut responsable de la Drug Enforcement Administration, au New York Times, après l'annonce par Trump de la grâce accordée à Hernández. "Ce geste ruine la crédibilité des États-Unis aux yeux de la communauté internationale".

D'ailleurs, Bibi Netanyahu aurait-il invoqué Trump dans sa demande de grâce s'il n'avait pas soutenu les exactions barbares et illégales commises par la machine terroriste israélienne à Gaza, en Cisjordanie et ailleurs au Proche-Orient ?

Sans oublier l'accaparement progressif du pouvoir, désormais manifeste, non seulement aux États-Unis, mais aussi chez bon nombre de leurs clients, voire la plupart d'entre eux. Les grâces accordées par Trump ainsi que l'essentiel de sa politique étrangère et de sécurité trahissent un mépris souverain pour la Constitution et l'électorat américain, sans parler de la trahison de ceux qui ont voté pour lui.

L'exercice du pouvoir sans égard pour la légalité, le pouvoir séquestré - et son proche corollaire, l'impunité - s'illustrent de manière flagrante dans ce grand déballage de grâces désormais omniprésent dans la vie politique américaine. Dysfonctionnement, surenchère de grâces et impunité sont les symptômes d'un mal plus profond. Aussi amère que cette réalité puisse être, le recours systématique de Trump aux grâces et aux commutations de peine témoigne d'une crise qui va bien au-delà de la libération de trafiquants de drogue, d'escrocs et de autres délinquants en col blanc. C'est le visage du déclin en cours.

Traduit par  Spirit of Free Speech

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